mercredi 20 octobre 2010

Cette ville à l'horizon...

"Il cherche à atteindre une ville là-bas sur le lointain horizon, première chose qu'il a vue en sortant du canyon, quand le canyon s'est refermé derrière lui. La ville est toujours là, posée au bord tel un portail menant à la partie cachée du ciel. Parfois elle disparaît derrière une légère élévation, pour réapparaître quand cette élévation a été atteinte, souvent même comme si elle n'était pas plus éloignée, à l'oeil nu, son oeil nu, que la dernière fois, comme un mirage qui s'éloigne, ce qu'elle est sans doute. Parfois, il n'y a pas du tout d'horizon, il est brûlé par l'éclat du soleil ou par l'effacement brutal de la nuit, et donc pas de ville non plus, et son but est davantage le souvenir d'un but, mais il continue à avancer et à un moment ou à un autre elle réapparaît, vacillant au loin comme faite d'un drap mou agité par le vent. En fait, il ignore comment elle s'appelle, et ne ressent pas davantage le besoin de savoir. C'est simplement l'endroit où il va.

Peut-être sommeille-t-il par intermittence, mais par ici il a toujours l'impression soit qu'il fait noir sous les étoiles soit que le soleil est directement au-dessus, l'écrasant comme s'il le dénonçait pour quelque crime oublié, simplement un état ou son contraire à la manière des deux images d'une plaque de lanterne magique, oscillant d'avant en arrière, quand il ouvre et ferme et ouvre les yeux. Rien ne peut s'approcher subrepticement de lui dans tout ce vide tant qu'il reste à cheval devant tout ça, et c'est donc sur la selle qu'il dort en général, qu'il mange également, le plus souvent rien d'autre que des lanières de vieux pemmican de bison, aussi noir que du goudron et moitié moins bon, qu'il a trouvé sur le cheval. Un trou d'eau ne lui ferait pas de mal, un peu de fourrage pour la bête entre ses cuisses, et la meilleure chance d'en trouver semble être cette ville à l'horizon, bien qu'elle ne paraisse pas très substantielle. Par ici, rien que des cactus trapus, des amarante set quelques vieux ossements desséchés, une provende indigne même des morts."

(Robert Coover, Ville fantôme)

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